La Guerre de l’information dans la conquête du pouvoir au Congo-Kinshasa
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La Guerre de l’information dans la conquête du pouvoir au Congo-Kinshasa
La Guerre de l’information dans la conquête du pouvoir au Congo-Kinshasa
- CONTEXTE ACTUEL DES EVENEMENTS
Depuis le soulèvement populaire qui a duré trois bonnes journées dans la ville de Kinshasa et dans plusieurs autres villes de la RDC, nous avons eu à observer, au-delà des affrontements de la police avec les manifestants, un autre affrontement plutôt culturel, celui-là, une espèce de guerre dans la guerre ou pour être plus précis, le nerf même de la guerre qui s’est avéré dans l’arme de la maitrise des moyens d’information et de communication.
Au plus fort de la crise qui a secoué le pays de Lumumba suite à la tentative du régime Kabila de modifier l’alinéa 3 de l’article 8 de la Loi fondamentale avec l’intention évidente de chercher à rempiler pour un troisième mandat, l’observateur attentif a pu relever que l’arme lourde utilisée par le pouvoir de Kinshasa ne fut point le déploiement des policiers ou de la soldatesque de la garde républicaine étant donné que le peuple a réussi à braver mains nues leur cette puissance de feu. Non, l’arme lourde utilisée par le régime de Kinshasa, ce fut bien la coupure de l’internet et des réseaux sociaux qui a porté l’estocade décisive qui a pu stopper la marche du peuple vers la prise de la Bastille congolaise qu’est le palais du peuple où sont votées des lois scélérates.
De fait le mardi 20 janvier 2015 matin, les opérateurs Internet de la République démocratique du Congo ont reçu l’ordre de couper l’accès à internet et aux communications SMS en 3G. Ces mesures prises par les autorités du pays allaient bien évidemment à l’encontre du respect des règles élémentaires de la démocratie d’abord parce que l’ordre de coupure d’internet était sans motivation dans un pays qui n’était pas encore dans un état de siège et ensuite il constituait une entorse contre les droits élémentaires de communication des citoyens. Cette situation de blackout va perdurer pendant deux bonnes semaines jusqu’à ce que le gouvernement lève progressivement les unes après les autres ces mesures de suspension inique.
Depuis la semaine dernière, les autorités du pays sont allées déterrer la loi Kin-Kiey Mulumba promulguée le 3 novembre 2012[1] et qui sommait[2] tous les utilisateurs des téléphones cellulaires sur toute l’étendue du territoire de la République démocratique du Congo de se faire identifier auprès de leurs réseaux respectifs, faute de quoi leurs lignes se trouveront bouchées dans les trois mois suivants. Mais point n’est besoin de trop réfléchir pour jauger les motivations secrètes des gouvernants congolais qui manifestent là l’intention claire d’exercer un contrôle plus strict sur l’identité des usagers et sur le contenu de l’information véhiculée. Cette loi aussitôt publiée en 2010 fut bien évidemment jetée aux oubliettes jusqu’à l’éclatement de la crise de janvier 2015 dernier où les dirigeants congolais se sont souvenu qu’elle pouvait bien servir non au maintien de la sécurité territoriale mais à la survie de leur régime. Ce qui fait problème ici, ce n’est point l’application de la loi pour restaurer l’ordre public mais sa négligence totale depuis sa promulgation en 2012 jusqu’à ce jour et sa brusque résurgence sur la scène nationale pour des raisons d’opportunisme politique. L’information relayée par des usagers de nouvelles technologies de l’information et de communication qui est un secteur-clé de la sécurité nationale est à ce point négligée quand il s’agit de défendre l’intégrité territoriale et appliquée quand il s’agit de sauver un régime ou un individu…
Le gouvernement de Kinshasa via ses services de sécurité aura compris que les manifestations du 19 au 21 janvier ne relevaient point d’une génération spontanée. Elles étaient plutôt la résultante de longues préparations idéologiques des discours de sensibilisation émanant de la fronde des résistants de la diaspora relayée par des opposants de la place. Les nombreux écrits réfractaires au régime de Kabila sur facebook et sur twitter, la diffusion via ces réseaux sociaux des images des actions spectaculaires des combattants démystifiant le pouvoir de Kinshasa ont fini par créer une opinion publique auprès des internautes, opinion selon laquelle Joseph Kabila n’est pas invincible et que ses thuriféraires au Parlement ou au Sénat, à défaut de servir leur peuple, ne sont que de simples laquais du dictateur qui ont tourné leur dos au peuple souverain qui leur a donné mandat. Cette opinion a pris corps et a rendu les congolais capables de marcher trois jours durant contre ce qu’ils considèrent désormais comme un système dictatorial qui met à genoux tout l’avenir de leur peuple. La coupure de communication a été vécue par ces frondeurs comme une autre méthode militaire de couper les manifestants de leur base-arrière qui, elle, donnait des ordres et dirigeait à distance les opérations de subversion.
Nous étions là devant une véritable guerre des images et des informations. Pendant que Mende Omalanga, le ministre de l’Information et Porte-parole du gouvernement Matata II, écumait les télévisions et radios de l’Etat pour signifier que rien de grave ne se passait[3], au même moment Joseph Kabila[4] choisissait sciemment d’aller accueillir à l’aéroport international de N’djili son homologue angolais, Edouardo Dos Santos, pour confirmer justement à l’opinion nationale que la vie continuait son cours normal à Kinshasa, la capitale et le siège des institutions de l’Etat congolais et que par conséquent cette manifestation organisée par l’opposition était en réalité un non-événement. Du coté de l’opposition et des manifestants, se mettait en place une autre forme de communication. Une coordination s’était établie entre la diaspora congolaise établie dans différents pays d’Europe avec des sous-groupes téléguidés sur le terrain. Les personnes sur le théâtre des opérations transmettaient des informations et les images via les téléphones portables rendant compte des avancées de la manifestation à leurs collaborateurs installés en Occident et chargés de relayer lesdites informations et images aux mass-médias du monde entier. Cette stratégie de communication poussera le régime de Kinshasa à prendre peur et contraindra de nombreux caciques du pouvoir à faire marche-arrière. Les messages, les signaux, les tracts etc. étaient aussi adressés à ces derniers pour les démoraliser, les diviser ou les égarer.
De l’acquisition des informations à leur communication à des millions d’internautes, la circularité des images de la sanglante répression sur les manifestants a eu à investir les champs psychologiques et les champs physiques qu’il était devenu possible de tirer des décisions qui permettaient aux manifestants de vouloir transformer la situation à leur avantage. C’est là la mise en acte de la théorie même du général Loup Francart[5], théorie selon laquelle l’information est action et donne sens. Vue sous cet angle, une information précise détient le pouvoir de transformer le contexte politique de la dictature en situation de libération, de le façonner en influençant les décisions et les opinions des différents acteurs sur le théâtre des opérations et sur la scène nationale et internationale, tout comme le schématise si bien le tableau ci-après.
Mais la guerre de l’information comme action, c’est aussi une guerre de l’information comme savoir. Posséder la dominance informationnelle, c’est avoir une représentation exacte et globale de la situation permettant une décision stratégique appropriée et instantanée, tandis que l’adversaire est plongée dans le brouillard de l’ignorance. Un moment donné, le pouvoir de Kinshasa était pris de court, mais ce qui a manqué aux organisateurs de marche, ce fut la ruse et la capacité d’anticiper pour surprendre l’adversaire. Si c’est vrai que le palais du peuple était le symbole à faire tomber pour renverser la dictature, il ne fallait pas l’annoncer d’avance. Il fallait annoncer un autre objectif tel que le palais de la nation autour duquel le pouvoir allait concentrer ses forces policières et de là le surprendre en détournant le cortège vers le palais de la honte et lui réserver le traitement comme celui qui a été infligé sur l’hémicycle de Burkina Faso.
A travers ce train de mesures, le gouvernement donne l’impression d’avoir identifié la véritable source du pouvoir qui entrainait cette marrée humaine sur des rues de Kinshasa. Et en tarissant la source de l’information et en neutralisant les canaux de transmission des informations, il a réussi à éteindre la flamme de la révolution qui commençait à s’étendre un tantinet partout. La dernière décision gouvernementale d’identification des usagers de téléphones portables visent plus le leadership de l’opposition et de la société civile. Elle vise à casser la dynamique de la libération qui commençait à prendre corps. Rien d’étonnant que Jean-Claude Vuemba, l’élu de Kasangulu, ait porté plainte contre TELECOM suite au bouchage de ses trois numéros téléphoniques. Et il n’est pas seul dans ce cas. Franck Diongo, Delly Sesanga, Samy Badibanga, Martin Fayulu et Fidèle Babala sont eux aussi victimes de cette bavure. Car, le 21 janvier 2015, au lendemain des manifestations de rue, les numéros de ces leaders de l’opposition n’étaient plus opérationnels. Les responsables des téléphonies cellulaires affirment avoir reçu une lettre d’un haut fonctionnaire de l’ANR leur intimant l’ordre de procéder au bouchage de tous les numéros des opposants.
L’information et sa circulation rapide se sont révélées comme l’enjeu principal des événements du 19 au 21 janvier dernier. S’il y a un avenir à envisager dans le combat de la résistance, c’est de là que doit partir la réflexion pour faire l’autocritique de ce qui s’est passé et de la manière où les opérations pourront être gérées au mieux dans l’avenir.
Leçon n° 1 : Comme je l’affirmais dans une récente publication[6], le pouvoir politique actuel réside dans le savoir. Des savoirs plus que du savoir. Et actuellement, ces savoirs proviennent de la maitrise de nouvelles technologies de l’information et de communication(NTIC). Il importe de retenir que l’autorité de la loi, de la tradition ou de l’élection populaire ne sont plus les seules sources du pouvoir. Les masses populaires sont dirigées par le pouvoir des images, par leur influence et leur relai indirect dans leur subconscient et dans l’inconscient populaire. Le but final visé, c’est de réduire la liberté d’action de l’adversaire en le déconsidérant, en lui faisant perdre des partisans ou des alliés, bref en altérant son image plutôt que sa volonté. Il s’agit ici de l’information « efficiente » comme le souligne François-Bernard Huyghe[7], celle dont la valeur stratégique ne réside pas dans sa véracité mais dans sa diffusion. Elle est efficace dans la mesure où elle trouvera des repreneurs, des « croyants » qui adoptent le point de vue et les jugements de valeurs qui rallient l’opinion nationale et internationale à la cause de la liberté défendue. Son but devrait être de mobiliser les affects, diriger les passions et fabriquer du consensus en vue de gagner une hégémonie sur l’adversaire et de parvenir à une fin politique qu’on s’est fixée.
Leçon n°2 : La guerre de l’information, c’est aussi la guerre des symboles. L’info-guerre viserait dans le cas de la RDC, les symboles du système actuel (les grands palaces construits sur l’argent volé au peuple, les fosses communes des cadavres dont ce régime s’est rendu coupable, les limousines qui roulent à coté des masses populaires qui marchent à pied sur des kilomètres, des monuments qui enseignent la fausseté sur l’histoire du pays etc.) et consistera en imputations des crimes et des mensonges, manifestation de sa perversion foncière avec des terres balkanisées ou de la dangerosité des principes qu’il incarne tels que la prédation et la corruption sous forme d’un système, la servitude comme idéologie, les assassinats et les génocides des populations paisibles etc. Tous ces faits criminels sont là pour démontrer la volonté perverse d’une entité mauvaise bien identifiée et motiver la volonté populaire à en découdre.
Leçon n°3 : Ce que nous pouvons retenir du mode opératoire des événements du 19 au 21 janvier dernier, c’est que ce n’est plus l’épée ni la kalachnikov qui ont le pouvoir de dénouer le « nœud gordien » d’un soulèvement populaire. Joseph Kabila qui a tourné le dos à la constitution pour s’appuyer sur les forces armées en vue de son coup de force en 2016 est en train de se faire de très mauvais calculs politiques dans la seule mesure où il pourra se trouver en face d’un peuple qui se sera décidé de s’organiser dans la maitrise des savoirs d’information et de communication pour le clouer au pilori. C’est dans ce domaine des savoirs appliqués sur le théâtre de combat de libération que ce peuple pourra se donner des moyens intellectuels d’anticiper la manière par laquelle il pourra contourner la coupure des voies de communications en utilisant un plan B, à savoir d’autres moyens humains pour aboutir en fin de compte au même résultat qu’est la libération du peuple congolais du poids de la servitude.
Leçon n°4 : L’art de gérer les petites conquêtes pour la victoire finale. En effet, les historiens de la crise congolaise retiendront que le mardi 20 janvier 2015, les manifestants ont réussi à mettre la peur dans le camp de la police. La vague qui se déferlait vers le Palais du Peuple et ne reculait devant aucune détonation des fusils avait commencé à faire douter les agents de la police qui avaient fini par battre en retraite. La Place de la Victoire était l’une des conquêtes significatives de cette marche mais qui a été mal gérée. Comme il s’est révélé dans l’histoire de la guerre en Afrique, les généraux africains, de Hannibal[8] à Chaka Zulu, savent vaincre mais commettent la méprise de ne pas savoir profiter de leur victoire en termes d’organisation du territoire pour en faire une base-arrière d’autres actions de conquête. Les Egyptiens ont réussi à chasser Hosni Moubarak grâce à la bonne gestion de place Tahrir qui était devenu la place symbole de la résistance contre un système dictatorial.
Leçon n°5 : Aucune révolution ne peut porter des fruits escomptés si elle ne fédère pas au préalable toutes les couches sociales. C’est pourquoi Philippe Cabin[9] invoque le modèle de seringue hypodermique selon lequel l’influence de médias est proportionnelle à leur force de pénétration qui doit infiltrer le subconscient de la majorité populaire jusqu’à pouvoir modifier le comportement même de la Police et de l’armée que les stratèges de communication doivent pouvoir retourner contre leurs commanditaires en faveur de la cause nationale de libération du peuple. En Tunisie, en Egypte puis récemment au Burkina Faso, les dictatures ont été renversées principalement grâce à cette technique de pénétration des esprits du peuple, de tout le peuple, des civils comme des militaires.
Leçon n°6 : Je termine cette réflexion par l’enseignement que j’ai tiré de la lecture de Carl Wolfgang Sofsky[10] qui écrivait à peu près ce qui suit : « la stratégie prépare le combat. Elle détermine où et quand et avec quoi il faudra combattre. Elle procure des ressources et équipes les combattants. La tactique, pour sa part, fixe la manière dont les moyens seront employés et la bataille menée. Ces deux opérations dans la conduite rationnelle du combat ont une fonction commune : la réduction de l’incertitude et l’exclusion du hasard. » Mais, pour revenir à notre sujet, comment mettre en application cette sagesse si ce n’est dans la maitrise de l’information, de la connaissance exacte et précise de ce que pense faire l’adversaire. Plus on est préparé, plus il est facile de parer le coup de l’adversaire. La stratégie du savoir ou des savoirs, dans la coordination des forces engagées et le renforcement de l’esprit combatif, voilà qui vous préserve du hasard et vous ouvre les portes de la victoire finale.
Chers internautes, retenons cette vérité : il n’y a pas de guerre sans info-guerre ! Il s’agit en d’autres mots de jouir d’un meilleur éclairage que celui usé par l’adversaire sur la réalité de terrain, les forces et l’environnement, de deviner ses intentions, de dissimuler ses propres positions et intentions, de décoder les intentions de l’adversaire pour améliorer sa capacité de comprendre ses moyens de perception, commandement et coordination, de dégrader ceux de l’autre, d’exalter ses partisans, de démoraliser ceux de l’adversaire, de diviser ses alliés et son commandement. On entre là sur le terrain de la contre-propagande politique de Jean-Marie Domenach avec ses cinq règles, en l’occurrence : « la simplification qui permet de personnifier un ennemi commun, le grossissement qui permet de défigurer les faits, l’orchestration qui permet la répétition des messages simplifiés et défigurés et la transfusion qui permet de s’adapter aux différents publics et enfin la contagion en vue d’obtenir l’unanimité du groupe contre un ennemi commun.»[11]
Qu’on se le dise : le pouvoir réside au bout de la camera, dans l’image et dans l’angle avec lequel l’image est prise et diffusée pour faire passer un message qui vous permet aux manifestants de tirer les avantages de leur coté et l’opinion à leur faveur… Vaincre, c’est convaincre. Vaincre, c’est persuader. Il faut dès lors faire des moyens de communication, des instruments de la victoire. Et de cette manière, quiconque s’y préparera en avance et appliquera avec rigueur la discipline de ses règles gagnera la prochaine bataille politique de 2016 !
GERMAIN NZINGA MAKITU
http://desc-wondo.org/strategie-la-guerre-de-linformation-dans-la-conquete-du-pouvoir-en-rdc-germain-nzinga-m/
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Date d'inscription : 15/10/2012
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